CASCADEUR
APRÈS UN RICHE PARCOURS DE VIE, ANTONY CINTURINO, 48 ANS, A EU UNE RÉVÉLATION. IL Y A DIX ANS, LE DESTIN A EMMENÉ CET EXPERT EN ARTS MARTIAUX SUR UN TOURNAGE. LE DÉBUT D’UNE PASSION : LE MÉTIER DE CASCADEUR.
Vous avez été commando dans l’Armée de l’Air, cuisinier, déménageur, agent de sécurité… Antony Cinturino, comment êtes-vous devenu cascadeur ?
Je suis né à Marseille, et j’ai grandi à Montpellier. Avant le service militaire, je pratiquais déjà, pour le plaisir, des sports de combat et arts martiaux : judo, ju-jitsu, boxe américaine… Puis j’ai exercé pas mal de métiers. Il y a un peu plus de dix ans, j’ai passé un CAP. J’ai pris la décision de faire ce que je voulais pour moi. J’avais la rage, la soif de vivre. J’étais alors agent de sécurité, une collègue m’a dit qu’un film recherchait quelqu’un pour une scène de combats. Tout est parti de là !
L’univers du cinéma vous parlait-il ?
C’est un rêve depuis toujours. Je regardais « La Dernière Séance », présentée par Eddy Mitchell. J’étais fasciné par les westerns, les péplums avec Kirk Douglas. Ça, et les comics Marvel… À seize ans, j’ai fait du théâtre à la compagnie des Nuits Blanches. Une sacrée période de rigolade. J’ai aussi fait un peu de figuration à Marseille. À l’époque, il n’y avait pas tant de tournages ici. Mais ce monde semblait inaccessible. Je n’aurais jamais imaginé devenir acteur ou cascadeur.
Racontez-nous votre premier film…
C’était un long-métrage autoproduit, The Hunt. Un film de genre, une sorte de chasse à l’homme. J’ai rencontré l’équipe. Dans la scène, je prends une flèche dans l’oeil puis je me fais égorger. À partir du scénario, je leur ai montré mes idées. Ils étaient enchantés : on a commencé à jouer ! Ce qui était génial, c’est que c’était une équipe de copains. J’étais dans mon truc, à me faire plaisir. Un lien s’est créé avec des personnes comme François Gaillard, le cadreur, mais aussi David Scherer, le maquilleur. C’était incroyable de voir des êtres comme ça, à fond. On riait, ce n’était pas comme un travail !
Et tout s’est enchaîné…
François Gaillard m’a rappelé pour Last Caress, film d’horreur « slasher » où je jouais le tueur en série. Pour Die die my darling, un film d’action, je devais régler les scènes, coacher les comédiens. Mais je n’avais pas de matériel ni de salle pour répéter. Il a fallu tout improviser ! Pour me structurer, j’ai donc monté une association : CinturiWolf. En parallèle, j’ai tourné mes premiers films avec les copains. C’est ça mon école : les amis et le terrain. J’organisais des projections où j’invitais les gens du cinéma, comme Occitanie films. Les appels professionnels ont commencé. Par exemple 5 femmes, un long-métrage allemand pour lequel j’ai obtenu un rôle, du doublage et les cascades. Je devais réussir des chutes de 7 à 10 mètres. J’ai dû passer des coups de fil pour savoir comment on faisait !
En dix ans, dans combien de films avez-vous tourné ?
Je ne sais pas ! Une bonne trentaine ? Le dernier m’a marqué. It’s a good day to die, film américain de John Chua tourné à Sète. Tout était super, l’équipe, les acteurs. Ils m’ont appelé un peu en urgence, ça collait avec mon planning. Ils m’ont accordé une grande confiance. J’ai pu prendre les choses en main, naturellement. J’ai coaché les acteurs, on discutait de la mise en scène… Ça m’a passionné d’être là, d’apporter quelque chose de réel au projet. J’avais carte blanche sur les scènes d’action. C’était jouissif de pouvoir m’exprimer.
Finalement, en quoi le métier de cascadeur consiste-t-il ?
On est au service de la mise en scène, de la création. On va réaliser des actions, des cascades, des mouvements un peu délicats que l’on ne fait pas naturellement. On peut se battre, faire semblant de brûler, tomber de 10 mètres… On fait semblant, mais c’est réel. Si l’on chute, on chute vraiment ! Il faut donc savoir ce que l’on fait. Une cascade, il faut que ce soit très pointu. Si un acteur se trompe dans le texte, on coupe et on refait. Nous, nous ne pouvons pas nous rater.
Est-ce se mettre en danger ?
Justement non ! Notre travail, c’est de calculer et de réduire les risques. Ce sont des entraînements, une mise en place. Dans mes formations, je dis : si vous ne le sentez pas, ne le faites pas ! Moi, je ne fais pas du parkour, sauter d’un immeuble à un autre. Je ne sauterais pas non plus d’un hélico à 50 mètres. Sur les tournages, il ne faut pas dire oui, si l’on ne maîtrise pas… Surtout que l’on va répéter plusieurs fois le même geste. L’accident arrive quand on est incertain. Ou quand on a trop confiance : on se relâche et on fait une bêtise. À chaque instant, il faut rester attentif. J’ai de la chance, je n’ai jamais eu de blessure.
Qu’est-ce qui vous plaît dans votre métier ?
Quand tout est OK, il y a une forme d’excitation. Quand je suis sûr, je n’ai plus de pression, il y a le côté challenge. Comme je me suis formé tout seul, je suis heureux de réussir des expériences nouvelles. J’aime à peu près tout. Les chutes de hauteur, je devrais en faire plus souvent ! J’adore aussi travailler avec le cheval.
Comment devient-on cascadeur ?
Beaucoup de formations s’ouvrent. À vingt ans, les gens ont déjà un niveau ! C’est physique. Il faut beaucoup d’entraînement. C’est aussi un état d’esprit. On n’est pas là pour en faire trop ou chahuter. Il faut être à l’écoute, au service. On fait notre job, pas plus. Car le film, il est comme ça.
Doublez-vous parfois des acteurs ?
Oui ! Le problème ne réside pas dans le fait qu’ils arrivent ou non à exécuter un mouvement. C’est qu’il suffit d’un rien pour que l’acteur ne puisse pas continuer. S’il faut répéter plusieurs fois une cascade, même des choses simples, au bout d’un moment, cela peut faire trop. Daniel Craig, Tom Cruise, ou Belmondo ont parfois été doublés ! C’est un choix de la production pour sécuriser le tournage.
Conseilleriez-vous ce métier ?
Je conseille de faire ce que l’on aime. Quand c’est le cas, on ne compte pas le temps et on prend du plaisir. Parce qu’on n’a qu’une vie. Ce qui est important, c’est de suivre son instinct, tout simplement. Mon fils de 23 ans était à la fac. Il venait sur les tournages. Un jour, il a tout lâché, il est devenu cascadeur lui aussi. Il suit son rêve.
Quel est votre rêve ?
Tant que je peux continuer, je continue. Il y a toujours du boulot ! Et je développe en parallèle le côté comédien. J’ai envie de continuer ainsi. Rencontrer de nouvelles équipes, avec de nouveaux projets. Et avoir un vrai rôle dans un long-métrage. La suite, ce serait peut-être cela.
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