UN HOMME D’INSTINCT
Théâtre, télévision, cinéma… Depuis le début des années 90, l’acteur et producteur de 53 ans multiplie les projets. S’il connaît une certaine notoriété à la télévision à travers des séries à succès comme Clara Sheller, David Nolande ou encore Flics, sa carrière cinématographique décolle notamment avec le film Taxi en 1998, une production de Luc Besson qui lui vaut une nomination aux César dans la catégorie du meilleur espoir masculin. Pourtant, peu d’éléments laissent présager un tel parcours. Celui qui campe le rôle d’Antoine Myriel dans la quotidienne de TF1, Ici tout commence, nous raconte son histoire le temps d’un interlude gastronomique à La Prose Déjeuner.
Enfant, vous imaginiez-vous acteur ?
Je ne peux pas vous répondre ! J’ai surtout des flashs de mon enfance, alors vous dire de quoi j’avais envie… Il est difficile de juger l’exactitude des souvenirs, de savoir à quel point ils sont romancés. Pour reprendre les mots de Chateaubriand, à partir du moment « où l’on raconte un souvenir, même immédiat, on le romance inévitablement. » Je pense que j’étais un gamin qui aimait rire et amuser la galerie. J’étais à la fois très sociable et solitaire par moments. Je me souviens qu’avec une bande de copains d’une dizaine d’années, on avait une planque sous un pont de voie ferrée, on regardait les trains passer, on vivait et on s’imaginait un tas de choses comme dans ce film de Rob Reiner Stand by me.
Où grandissez-vous ?
J’ai beaucoup déménagé, mais principalement en région parisienne et dans le Sud-Ouest. Ma mère est originaire du Gers. Entre Condom et Lectoure, dans un village qui s’appelle Saint-Puy. J’étais à la fois un citadin et un gamin de la campagne. J’étais profondément heureux là-bas. La lumière, l’horizon… c’était un peu comme ces vieux films en noir et blanc…
Cette imagination, qu’est-ce qui l’a nourrie ?
Ma grand-mère adorait aller au cinéma ou au théâtre et elle m’y emmenait régulièrement. On allait voir les films avec Belmondo, Louis de Funès en passant par Star Wars ou le tout premier Superman. Un jour, elle m’a amené à la Comédie Française voir une pièce de Molière. Ma première fois au théâtre, c’était Le Médecin malgré lui. Je devais avoir sept ou huit ans. Je n’en prendrai conscience que bien plus tard, mais cette expérience m’a profondément marqué.
C’est ce qui vous donne envie de jouer ?
À mon entrée au collège, ma mère tient la bibliothèque de la ville où l’on vit. Elle décide de s’occuper de l’atelier théâtre de mon établissement. Au départ, je n’ai pas envie de participer. Finalement, une jeune fille qui me plaisait bien depuis le CM1 s’inscrit, alors je me suis lancé.
Est-ce une révélation ?
Oui et non. Je ne travaille pas et je fais un peu honte à ma mère. Hasard ou pas, elle décide de monter
Le Médecin malgré lui pour le spectacle de fin d’année. Je ne maîtrise pas le texte faute de travail, alors j’improvise. Et c’est vrai que j’avais eu une belle sensation enivrante, mais on ne peut pas encore parler de révélation…
L’adolescence est-elle une période difficile pour vous ?
C’était un moment un peu complexe, ma mère était toute seule pour nous élever. Les études ne se passent pas très bien. On déménage d’une petite ville sympa de banlieue pour une de ces « premières villes nouvelles », comme elles étaient appelées à cette époque-là. J’y découvre une mixité culturelle et sociale enrichissante. En revanche, cela s’avérait bien plus complexe et violent au sein du collège et aux abords. Du coup, je fais des bêtises qui ne vous mettent pas en valeur, mais qui vous protègent au sein d’une bande. Je n’ai pas encore quinze ans, il faut que je quitte les écoles du coin, c’est une question de survie. Je profite d’être viré pour faire un pré-apprentissage en pâtisserie qui me permet d’aller vivre chez ma grand-mère à Paris. À seize ans, j’intègre une école hôtelière.
Votre destinée n’était pas toute tracée…
Non, en effet. À cette époque, je découvre une rigueur, des métiers respectables, un certain ordre qui me fait du bien au bon moment. Mais, je ne sais pas encore ce que je veux faire au fond de moi. Finalement, après un job d’été dans le salon de coiffure d’un ami de ma mère, où je faisais des shampooings, je décide d’être apprenti coiffeur.
La cuisine, la coiffure, comment arrivez-vous finalement au théâtre ?
Je retrouve par hasard un copain perdu de vue, il allait à ses cours de théâtre et je l’ai accompagné. Je me suis installé au fond de la salle, et le professeur est venu me voir et il me dit : « alors comme ça, vous voulez faire du théâtre ? ». Je lui réponds non, que j’accompagnais juste un ami. Il m’a regardé longuement en silence avant de me dire « vous êtes le bienvenu. Venez faire du théâtre. » Allez savoir… C’était un vieux de la vieille.
Cette rencontre bouscule-t-elle tous vos projets ?
Clairement, ça me travaille pendant plusieurs semaines. Mais, j’hésite, j’en ai envie cependant ce n’est pas mon monde ni mon milieu. J’y retourne plusieurs fois seul mais je ne franchi pas la porte jusqu’au jour où je tombe sur des élèves arrivés en retard qui m’embarquent avec eux. Il me faudra un an pour vraiment avoir la révélation. L’été suivant, je fais un stage d’improvisation, je passe un mois dingue. Je ne me débrouille pas trop mal, je vois les gens se marrer… je retrouve cette sensation que j’avais ressentie à la représentation de la pièce de Molière à la Comédie Française avec ma grand-mère. À ce moment-là, je sais que je ne veux faire que ça et rien d’autre.
Comment vos débuts se déroulent-ils ?
Mes deux dernières années de cours sont magnifiques. On est toute une bande, on monte des projets, on écrit. Très vite je passe des auditions, je tourne dans des pubs, des courts métrages dont un Max le voyou primé au festival de Cannes. Je décroche pas mal de rôles à la télévision. Dans une série qui s’appelait Goal au tout début des années 90, puis sur TF1, dans Le juge est une femme que je tourne pendant quelques années. En parallèle au cinéma, je commence à décrocher de jolis rôles.
Vous souvenez-vous de votre premier rôle au cinéma ?
C’était dans La Totale de Claude Zidi. Puis j’obtiens des rôles de plus en plus importants, dont l’un dans un film qui va beaucoup compter Les gens normaux n’ont rien d’exceptionnel de Laurence Ferreira Barbosa pour lequel Valeria Bruni Tedeschi décrochera le César du meilleur espoir féminin. En même temps, je continue le théâtre.
Qu’est-ce qui guide vos choix ?
Je suis mon instinct, tout ce qui m’importe, c’est que le plaisir et l’amusement soient au rendez-vous. J’ai toujours pris les choses au sérieux, mais il faut que cela me rende heureux. J’ai besoin que les choses se passent avec aisance et bienveillance.
Les projets s’enchaînent jusqu’à la grande révélation avec Taxi de Luc Besson. Quel regard portez-vous sur cette époque ?
Le public commence à connaître mon visage. Je passe des castings pour des films prometteurs avec de grands réalisateurs, mais je passe à côté des premiers roles de justesse jusqu’au jour où Luc Besson lance le casting pour ce film dont il est l’auteur et le producteur. Pour moi, c’est une icône. Je fais partie de la génération Grand Bleu. Alors quand j’apprends que le rôle est pour moi, c’est un pur bonheur, même si j’ai une petite pression. C’est une rencontre qui a animé cette envie et cette joie d’exercer ce métier. Et puis on ne va pas se mentir, j’avais envie de succès, je désirais connaître ça.
Qu’est-ce qui fait la différence sur ce casting ?
Luc Besson cherchait un duo, un tandem. Dans Taxi, il s’agit de deux personnages qui n’en font qu’un. Avec Sami, il s’est tout de suite passé un truc. Lui avait un côté un peu brut, moi un peu plus réservé. Le binôme était créé. Je me souviens, le premier jour de tournage à Marseille, on était comme des mômes émerveillés. Et puis on avait le sentiment que quelque chose d’unique se passait. Cette histoire, ce binôme improbable, c’était, je ne sais pas... il y avait quelque chose de différent, de singulier, le cercle heureux.
Quel regard portez-vous sur l’ensemble de votre carrière ?
J’ai la chance que cela marche fort depuis plus de trente ans avec des périodes plus fastes que d’autres. Une carrière, c’est un peu comme un feu d’artifice. Cela peut monter très haut, il y a des bouquets avec de beaux effets, et d’autres parties qui peuvent être un peu ratées par moments, mais c’est nécessaire pour évoluer humblement. Et puis une carrière est aussi liée à la vie, aux choix intrinsèques que l’on fait, aux accidents aussi.
Avant de rejoindre le casting d’Ici Tout commence, vous tournez dans Demain nous appartient ...
Après Taxi, j’ai enchaîné beaucoup de jolis projets, au théâtre, au cinéma et à la télévision. Comme Clara Sheller et David Nolande en passant par Flics d’Olivier Marchal. Des nouveaux formats de série à l’époque qui allaient renouveler le genre en France. Le seul format finalement que je n’avais pas exploré, c’était la quotidienne. J’ai rencontré la production un peu par curiosité au départ, on a beaucoup échangé sur ce que j’aimerais faire, sur la vie. Trois semaines après, ils m’ont recontacté, ils avaient fait un magnifique travail avec les auteurs et m’ont présenté Antoine Myriel, mon rôle. Je suis emballé. On est fin mai, début juin, ils veulent que je démarre en août. Je découvre un nouveau terrain de jeu dense et passionnant.
Ce format vous séduit…
Oui, je trouve énormément de plaisir dans cette frénésie de séquences et de plans qui s’enchaînent dans la même journée. Cela va vite, donc on va tout de suite vers l’essentiel avec une équipe et des partenaires au top, c’est une école absolument magique.
C’était un pari, quand même…
Oui. Ils ne me voulaient pas comme guest, en venant, je devais m’engager. C’est ce que je souhaitais, créer un personnage, savoir s’il pouvait perdurer. Si je pouvais le rendre pérenne, donner envie aux téléspectateurs de le suivre, et aux auteurs d’avoir toujours envie d’écrire pour lui.
Aimez-vous vivre avec Antoine Myriel ?
J’adore. Il est plein de nuances, de contradictions. Il a eu une vie un peu tordue, un passé et une identité doubles. Son histoire est rocambolesque. Ce n’est pas simplement quelqu’un de bien. Il est avide aussi de justice. C’est un homme bienveillant. Et cette bienveillance dans le tumulte de la vie actuelle, du coup, me fait beaucoup de bien.
Qu’est-ce qui vous fait rêver aujourd’hui ?
Ma femme, mes enfants, mes amis. La famille est essentielle. L’inconnu. Les rencontres. Avoir une conversation imprévue. Être père. Être acteur ou artiste. Mon travail m’anime, je voyage à travers lui. J’aime l’aimer, le détester par moments. Il m’a ouvert des portes, des perspectives. Il m’a amené à me tromper aussi. Apprendre surtout. Vous voyez, j’ai une histoire passionnelle avec mon métier d’acteur.
Comment parleriez-vous de ce métier ?
C’est un métier de rupture. C’est un métier où l’on s’arrête et l’on recommence. On forme une famille pendant plusieurs semaines, et on la perd. Il y a un côté très éphémère. Mais au moment où cela se passe, c’est toujours vrai et sincère. Dans une quotidienne, finalement, ça dure. Vous savez quand cela commence, mais vous ne savez pas quand cela va s’arrêter. Alors que sur un film, on connaît déjà le mot « fin ».
Est-ce difficile parfois de reprendre le cours de sa vie ?
Récemment, j’ai tourné sur un film et je croyais être guéri de ça, mais j’ai mis deux semaines à me sortir d’une espèce de flottement. Cela peut être éprouvant par moments. La quotidienne, c’est quelque chose dont j’avais besoin, elle m’apporte cet équilibre qui rassure. La famille est quelque chose qui vous ancre aussi. C’est un point d’ancrage, un point tellurique.
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