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MATHIEU BOLLET

L'HARMONIE


C’EST LE PRODUCTEUR ARTISTIQUE DE LA SÉRIE UN SI GRAND SOLEIL. S’IL S’OCCUPE DE L’APPARENCE VISUELLE ET SONORE DE LA QUOTIDIENNE, C’EST AUSSI LUI QUI DONNE LE TON ET L’AMBIANCE DES INTRIGUES SUR CERTAINES SÉQUENCES, UN PEU À LA MANIÈRE D’UN CHEF D’ORCHESTRE. VÉRITABLE PASSIONNÉ DE « MUSIQUE À L’IMAGE », IL NOUS EN DIT PLUS SUR SON HISTOIRE ET SUR SON RÔLE AU QUOTIDIEN.

Vous êtes le producteur artistique d’Un si grand soleil. Comment définiriez-vous votre rôle ?

Concrètement, j’ai la responsabilité du résultat à l’image, du rendu général de la série. Lorsque quelque

chose ne va pas, c’est pour moi, quoi ! (Rires)


Cette passion pour l’image et la musique, d’où vous vient-elle ?

Quand j’étais enfant, je passais mon temps à regarder des films et à en écouter les musiques. C’était quelque chose d’assez viscéral déjà chez moi. J’avais même des réactions physiques. Si mes parents ne m’autorisaient pas à rester avec eux le soir, j’enregistrais le film pour pouvoir le regarder le lendemain entre midi et deux en mangeant une pizza ! (Rires) Dès l’âge de neuf ans, j’ai su que je voulais faire ce métier-là. Après, le chemin a été assez long avant que je puisse exprimer ma manière de voir les choses.


Quel a été votre parcours, justement ?

Après le lycée, j’ai fait une fac de lettres option cinéma. La seule chose qui retiendra vraiment mon attention, c’est l’histoire du cinéma. On s’intéresse peu à ce qui s’est fait avant, pourtant, c’est fondamental. J’ai arrêté en cours de route pour préparer une Maîtrise Sciences et Techniques à Aubagne. Une sorte de diplôme d’ingénieur en images. J’ai gagné un petit concours en faisant un court métrage. J’ai réalisé un clip et puis finalement, je suis parti travailler à Paris en régie.


En régie ?

C’est l’intendance. Tu es là avant tout le monde, et tu pars après. Tu garantis que le tournage se passe bien. C’est de la logistique pure.


On est encore loin du rêve d’enfant…

À ce moment-là oui. Mais je me suis fixé des objectifs. D’abord, j’ai besoin d’apprendre le fonctionnement d’un plateau. Puis j’ai eu beaucoup de chance, j’ai fait de belles rencontres.


Travaillez-vous pour le cinéma, à c e moment-là ?

Oui. J’ai travaillé sur un film de Claude Zidi, La Boîte en 2001, puis sur Les Rois mages. C’est sur ce tournage que mon régisseur me présente un premier assistant metteur en scène, un Marseillais, comme moi qui, par le hasard de la vie, était aussi un des amis d’enfance de mon frère. Là, j’ai travaillé sur Ma femme s’appelle Maurice de Jean-Marie Poiré, puis sur Le Boulet, La Petite Reine, puis La Beuze avec Mickaël Youn. De fil en aiguille, j’ai rencontré des personnes qui m’en ont fait rencontrer d’autres jusqu’à travailler sur Un long dimanche de fiançailles de Jean-Pierre Jeunet. Finalement, j’ai quitté Paris pour revenir à Marseille et j’ai intégré la série Plus belle la vie.


Qu’est-ce que vous faites à ce moment-là ?

J’ai recommencé à zéro. Au bout de six mois, Toma de Matteis, qui était le directeur artistique, m’a proposé de devenir son adjoint. Lorsqu’il a quitté la série, j’ai pris son relais. Mais je me suis aussi accroché gentiment avec le producteur au sujet du son, notamment. Je suis mis au placard pendant un an et demi. À ce moment-là, je peine à me dire que je vais juste travailler pour gagner ma vie.


Finalement, il vous rappelle pour son nouveau projet…

Exactement. Là, avec l’écoute très intelligente de mon producteur, j’ai eu les moyens de mettre en place ce que je voulais vraiment faire. Il connaît mes défauts et mes qualités, il sait comment tirer le meilleur de moi.


C’est-à-dire ?

Quand on était sur le montage des deux pilotes, il y avait quelque chose qui ne collait pas. J’ai mixé le son en direct avec de la musique. Immédiatement, cela a « pimpé » les choses. C’est là que j’ai eu l’idée de démarrer le premier épisode sans générique, seulement avec une voiture et un bon morceau, pour faire rentrer le public dans l’univers du programme. Le générique n’est apparu qu’au second épisode.


C’est de cette manière que la musique a trouvé sa place dans la quotidienne…

Complètement. Aujourd’hui, elle est essentielle pour le public. Et pour moi, elle a toujours été mon medium de communication.


À quoi votre quotidien ressemble-t-il ?

Je travaille à quinze jours en amont, à vrai dire. Je pré-cale des morceaux en avance sur les séquences. Pas sur toutes, mais sur celles qui sont « clés ». Ce qui me permet de parler aux metteurs en scène d’intentions, de rythme, d’ambiance et eux d’avoir les sons avant de tourner. C’est aussi cela qui nous permet d’accéder à quelque chose d’assez cinématographique. Il doit y avoir des envolées, comme des moments plus calmes. Je fonctionne beaucoup au rythme, à la musicalité du jeu, mais également du montage.


Comment faites-vous pour vous renouveler musicalement ?

J’utilise plusieurs sites. Il y a Universal Music. On paye un certain tarif par an et l’on peut piocher dedans. Il y a aussi Audio Network, une boîte anglosaxonne basée à New York, à Londres et à Paris. Eux fabriquent beaucoup de musiques avec des artistes, ils vont chercher des grands compositeurs. Ils sortent des albums. Il y a à peu près une cinquantaine de nouveautés par semaine. J’utilise aussi Cézame Music Agency, qui est une super boîte française. Ils réalisent des choses très qualitatives.


Vous devez y consacrer beaucoup de temps chaque semaine…

Oui, beaucoup. Je télécharge tous les nouveaux albums, j’écoute tout, je trie, parfois je mets de côté parce que je sais que dans six mois, je vais en avoir l’utilité. Depuis deux ans, je mets de côté du Danny Elfman, et là, je vais faire sonner l’intrigue de Christophe comme du Edward aux mains d’argent.


L’enceinte à côté de vous n’est jamais très loin…

Aujourd’hui particulièrement, parce que j’ai une réunion où l’on va écouter les intentions. Cela me permet aussi de parler de plans sans trop faire mon metteur en scène frustré ! (Rires) La musique et l’image sont intimement liées. C’est comme cela que l’on crée les deux ou trois moments de magie, que l’on réussit à sortir le spectateur de ce qu’il a l’habitude de voir sur une quotidienne et à lui proposer un peu de cinéma.


Est-ce ce qui différencie Un si grand soleil d’autres programmes du genre ?

Pas seulement. Cette approche artistique différente, exigeante, d’essayer de faire une série qui ressemble à du cinéma, tout le monde l’a ici. Il n’y a pas que moi. Je pense que l’ambiance globalement de la série vient de cette envie de faire de « l’art » au maximum de nos possibilités, raison gardée évidemment, et sans jamais dénigrer non plus le travail des autres. On fait des choses différentes.


Quels sont les enjeux d’une série comme Un si grand soleil ?

Les effets spéciaux. C’est un vrai point de développement pour nous à plusieurs niveaux, aussi artistique qu’économique. L’idée du studio ici, c’est d’accueillir d’autres tournages. Tout notre savoirfaire, tous nos outils peuvent potentiellement être défalqués sur d’autres projets, qu’ils soient internes ou externes. On est aussi une entreprise qui a besoin de gagner de l’argent pour s’autoalimenter. Tout ce que l’on gagne est réinjecté. On ne fait pas de bénéfices. Ce qui est très vertueux parce que lorsque l’on doit économiser, c’est pour un objectif d’équipe. C’est aussi pour cela que nous avons une grande liberté artistique.


Y a-t-il des aspects que vous aimeriez davantage explorer aujourd’hui ?

Cela varie selon mes humeurs. Je parle beaucoup aux auteurs. Je manque un peu de technique, j’apprends à lire différemment. Ce qui est particulièrement intéressant sur la série, ce sont les personnages gris.


Qu’est-ce que c’est ?

C’est le fils de bonne famille qui a tout pour lui, qui en apparence est super. Mais qui, à la sortie du lycée, deale du shit. C’est un personnage avec une profonde dualité. C’est le contraire du héros ou même de l’antihéros. C’est ce qui me permet justement de travailler ces interstices émotionnels et ces doutes sur les personnages.


Cela me fait penser au personnage d’Eliott…

C’est ça. Stéphane Monpetit était génial là-dedans. On travaille de plus en plus sur ces zones d’ombre dans chacun de nos personnages. Cela nous donne une véritable marge de manoeuvre. En ce moment, on est beaucoup sur le personnage de Christophe, incarné par Hubert Benhamdine, qui est absolument formidable, je le remercie d’ailleurs pour tout ce qu’il fait pour nous. Et l’on s’éclate à avoir un personnage dans le doute. C’est hyper intéressant.


Sur chaque épisode, il peut y avoir différents réalisateurs. N’est-ce pas contraignant ?

Non, pas du tout. On connaît leur sensibilité. On sait avec qui l’on va travailler. Puis ils adhèrent à ce qu’on leur propose. Ici, il y a une liberté quand même d’échanges et de paroles, et une recherche artistique qui les éclatent. Il s’agit de la seule série qui travaille à ce niveau sur les plateaux, il faut des pointeurs super costauds pour avoir cette image « cinéma ». C’est ce qui nous prend le plus de temps, ce qui nous met le plus en échec et ce qui nous demande aussi d’avoir des exigences artistiques au top.


Cela vous rend fier…

L’une de nos grandes fiertés réside dans le fait que l’on ait fait passer d’anciens premiers assistants à la mise en scène, et notamment des femmes, et l’on est très fier d’avoir découvert de vrais talents. Je pense particulièrement à Emmanuelle Caquille qui est une brillante réalisatrice. Elle a un parcours super intéressant. Il n’y a pas qu’elle. Il y a également une jeune réalisatrice qui vient d’arriver, que j’avais repérée sur un court métrage. Cela fait partie aussi des plaisirs, découvrir des personnes, les intégrer. Des créatifs avec qui l’on peut avoir une réelle communication et une véritable réflexion. C’est ce qui nous incite à toujours faire mieux, à nous remettre en question. À faire le moins de plans possible, mais les plus forts possible.

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