CHASSEUR DE DÉCORS
Le repéreur Sébastien Giraud arpente la région pour dénicher les décors du cinéma et de la télévision. Un métier qui exige de maîtriser les contraintes techniques, budgétaires et artistiques des tournages. Alors que les investissements des plateformes explosent, que les séries quotidiennes se multiplient et que les décors en 3D rebattent les cartes, l’homme a un coup d’avance. Il accompagne le projet Pics Studio à SAINT-GÉLY-DU-FESC, qui accueillera d’ici deux ans « de grandes productions internationales ». De quoi faire de Montpellier « la capitale française du cinéma » ?
Sébastien Giraud, en quoi le métier de repéreur consiste-t-il ?
C’est un métier un peu nouveau en France, on doit être quelques dizaines. Le repéreur est l’un des premiers acteurs dans la fabrication d’un film. Quand un scénario est confié à un réalisateur, on va se demander où l’on tourne. Je vais alors lire le texte, m’imaginer mon film, et comparer à ce que je peux trouver sur le territoire. Comme ce n’est pas moi qui le réalise, je dois ensuite comprendre le film qu’imagine le réalisateur. Cela suppose de rentrer dans sa tête ! C’est un exercice intéressant.
Comment en vient-on au repérage ?
Par hasard ! J’ai grandi à Paris, où j’ai fait les Beaux-Arts. Pendant dix ans, j’ai restauré des instruments à vent anciens. Puis je suis devenu par inadvertance décorateur chez TF1. J’ai travaillé sur pas mal d’épisodes de Joséphine Ange Gardien. J’ai appris plein de choses, car cela touche à beaucoup d’univers différents. Il y a une quinzaine d’années, à Montpellier, j’étais assistant déco sur le tournage de L’avocat, avec Benoît Magimel. On m’a demandé de trouver un décor. Je me suis retrouvé en moto avec mon appareil photo. Et j’ai eu le coup de cœur. Je me suis rendu compte que la base de la décoration, c’était le lieu qui nous accueillait.
C’est quoi, un bon décor ?
Il y a énormément de paramètres qui font qu’un décor est jouable ou non. Il y a des endroits superbes, mais inexploitables. Et d’autres qui sont géniaux pour des tas de raisons. Des textures différentes, de la matière pour fabriquer de la mise en scène : des entrées, des sorties, des fuites, des perspectives... Les lieux ont leur réalité, mais ils racontent aussi une histoire. Moi, je vais voler cette histoire et en raconter une autre, qui lui ressemble de près ou de loin.
En quoi le décor est-il important ?
Quand une histoire est écrite, on pense forcément aux personnages. On oublie souvent qu’ils sont inscrits dans un autre personnage beaucoup plus grand : le décor. Il va porter et supporter toute la narration. Quand cet aspect est mal traité, cela se sent. Alors qu’à l’inverse, des films sont sublimés par leur environnement. J’aime beaucoup Sergio Leone. Il faisait des plans excessivement larges. Chez lui, on voyait bien que le décor était un personnage principal.
N’est-ce pas aux cinéastes de trouver leurs décors ?
Certains le font. Mais souvent, ils vont se concentrer sur l’aspect artistique, esthétique. À l’inverse, les régisseurs vont se focaliser sur la technique. C’est pour cela que sont nés les repéreurs. Une espèce de poste hybride qui a un pied dans l’artistique, un pied dans la logistique, un pied dans la production. C’est un trait d’union entre plein de métiers différents !
Comment transpose-t-on un scénario dans le réel ?
C’est facile de poser des mots les uns après les autres. Mais après, il y a la mise en image. Je lis parfois des scripts où tout est pensé à la virgule près. Lors du repérage de Balle perdue 1, qui se tournait ici pour Netflix, le scénario évoquait une scène précise : les personnages arrivent en voiture dans une rue, accélèrent, traversent la vitrine d’une bijouterie, mais comme ils vont trop vite ils traversent le mur du fond, ressortent dans la rue derrière et s’écrasent dans un camion. Il faut le trouver, ce décor ! Cela nous a pris quinze jours, mais on est arrivé à fabriquer cette image, en découpant le truc : un bout à Sète, un bout à Frontignan…
Le texte s’impose, ou y a-t-il une marge ?
En général, ce qui est écrit n’est jamais définitif. Je peux émettre des propositions, orienter dans un sens ou l’autre. Quitte parfois à réécrire des séquences, quand on a une idée à partir d’un lieu. Par exemple, plusieurs scènes qui devaient se passer dans une rue se sont terminées sur un bateau qui traverse la mer ! Balle perdue, c’était une espèce de jeu vidéo en live : cascades, voitures qui explosent. L’équipe était jeune. S’ils trouvaient un truc amusant à faire, même absurde, ils le faisaient. J’ai proposé plein de décors, comme une mine de bauxite. Quand ils trouvaient que cela avait de la gueule, ils écrivaient une nouvelle scène !
Vous travaillez sur des films, téléfilms et séries. Quelle est la différence ?
Pour moi, c’est le même travail, c’est juste la taille de l’écran qui n’est pas la même. Je ne préjuge pas qu’un film soit meilleur qu’une série ou un téléfilm. La seule différence, c’est l’approche. Sur un film, on est sur du one shot, je suis en contact avec le réalisateur et le producteur. Le scénario est déjà écrit. Pour Un si grand Soleil, on s’inscrit dans la durée. Comme plusieurs équipes tournent en simultané, c’est un producteur artistique qui reçoit et valide les repérages. Il faut que cela aille vite, que ce soit fluide. Niveau scénario, il faut anticiper des univers pas complètement définis. Nos propositions de lieux contribuent à ajuster les scénarios.
Quels sont les repérages qui vous ont le plus marqué ?
Un souvenir fort, c’est Omar m’a tuer. Pour le film, mais aussi la complexité des décors. On l’a tourné en 2011, mais cela se passe en 1991. On devait trouver des univers un peu anciens, mais pas trop. C’était difficile ! Sinon, le souvenir rigolo, c’est Capitaines Pennac, tourné avec France TV Studio en 2020. On avait besoin d’un commissariat : j’ai proposé de faire cela au Corum ! Le défi, c’est qu’il y avait des scènes rajoutées dans un institut médico-légal (IML), une morgue. Pas simple. Mais si vous regardez les cuisines du Corum : grands frigos inox, plans de travail en carrelage, murs carrelés, néon au plafond... L’histoire racontée par ce lieu ressemble étrangement à celle d’un IML. On suggère, et le spectateur se fait piéger.
Comment voyez-vous l’avenir du métier ?
On sait qu’un jour, les tournages seront conditionnés à leur résultat carbone. Tant mieux pour la planète. Mais du coup, on va privilégier l’outil studio... On peut se demander jusqu’à quel moment on ira tourner dans des décors naturels. Cela commence déjà à s’amoindrir. Cela devient de plus en plus efficace de tourner en studio, et de plus en plus contraignant de tourner dehors. Par exemple, il est impossible de tourner dans les rues de Paris.
Que pensez-vous des décors 3D, comme le font les Tontons Truqueurs pour Un si Grand Soleil ?
Le virtuel est de plus en plus qualitatif. Cela permet de réaliser des choses chouettes, que l’on ne pourrait pas tourner autrement. Grâce aux Tontons Truqueurs, on tourne à Paris sans y aller. On peut écrire des séquences impossibles. C’est donc génial, car cela augmente la qualité des films, et en plus, cela ne pollue pas. Malgré tout, on aura toujours besoin d’avoir à proximité de vrais décors, dans lequels attraper un peu de réel.
Vous êtes basé à Montpellier. L’environnement est-il à la hauteur ?
On a en Occitanie une bibliothèque invraisemblable de décors ! Il y a tout ce dont vous avez besoin pour faire n’importe quel film, avec de l’urbain ultra contemporain, de l’urbain historique ou ancien, de la montagne, du littoral. Un tas d’univers différents dans un mouchoir de poche, c’est rare en France. Ajoutez à cela un soleil présent quasiment tout le temps et une lumière que l’on ne retrouve pas sur la Côte d’Azur… Les chefs opérateurs adorent cette lumière d’une douceur un peu aquarellée, un peu pastel.
Quels sont les décors qui vous inspirent, par ici ?
Un lieu qui me trouble, c’est le Causse Méjean. On voyage sur place. Vous posez une caméra, et vous êtes en Mongolie. Gruissan, on n’y tourne pas parce que c’est identifié au film 37°2 le matin, mais c’est surréaliste. En plein hiver, l’ambiance est hitchcockienne. À Montpellier, je trouve génial l’Institut de botanique. Cet endroit est dans son jus. Vous effectuez un voyage dans le temps.
Il y a de plus en plus de tournages par ici...
Le secteur explose. On a une demande de contenus inimaginable. Tout le monde arrive en France. Comme les plateformes sont obligées d’investir 25% de leur chiffre d’affaires dans des productions françaises, juste pour Netflix, en 2022 cela représente près de 300 millions d’euros ! Or on n’a pas les lieux pour accueillir tous ces tournages.
Cela va-t-il changer avec le projet Pics Studio de Saint-Gély-du-Fesc ?
Personne ne réalise ce qui se prépare. On va pouvoir identifier la France comme capable d’accueillir des fictions « lourdes », c’est-à-dire des contenus de plateforme ou des films étrangers. Il y aura 16500m2 de plateaux. J’accompagne, avec l’appui de France TV Studio, depuis trois ans, les groupes GGL et Spag dans le développement global de ce projet. Je connais bien les besoins des équipes déco, la régie, la mise en scène, la production, pour un film français ou international. Je fais tout pour que ces studios sortent de terre. C’est nécessaire pour la filière du cinéma et de l’audiovisuel. En France, on a un besoin urgent de cet outil. Le lieu sera capable de tout accueillir, y compris les fictions, qui ont besoin de grands plateaux, de grandes hauteurs. L’outil studio est le seul pour décarboner la filière, c’est une bonne chose que le gouvernement nous pousse et nous accompagne dans ce sens !
Montpellier accueille rarement des « films de stars ». Cela peut-il changer changer ?
Cela va changer ! Des équipes étrangères se sont déjà positionnées. On parle de films américains sympas, avec des stars. Ils sont dans les tuyaux pour Pics Studio dès 2024. On va donc voir arriver des stars à Montpellier et Saint-Gély. Ensemble, on est en passe de faire du Grand Montpellier la capitale française du cinéma !
Comments